Chofetim: on a besoin de paix, même au détriment de la justice
- rabbinathan
- Aug 29
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Updated: Aug 30
GIL 29.8.25

Les choses de la vie sont souvent très difficiles. Et il est parfois nécessaire de connaître ses limites. Cette constatation a été une leçon difficile pour moi. Quand j'étais enfant, mon professeur le plus influent, elle s’appelait Mme Luckas. À onze ans, alors que je venais d'entrer au lycée, elle était mon professeur de latin. J’allais dans une école publique, mais c'était un lycée classique où les deux matières importantes étaient le latin et le rugby.
Le reste, comme les mathématiques et le français, n'avait pas beaucoup d'importance. L'art – qu'est-ce que l'art ? – n'avait aucune importance non plus.
Mais le latin, lui, était important et Mme Luckas veillait à ce que nous le comprenions très bien. Malheur à qui ¨n'obtenait pas les 100 % à un test de vocabulaire. Elle nous répétait : “Visez toujours les 100% !” Et si vous n’obteniez “que” 95 %, ce n'était pas très bien, mais c'était plus ou moins acceptable. Et 90% - vraiment la catastrophe ! Mais nous, les garçons, devions viser « non pas à être ordinaires, mais à être extraordinaires »...
C'est dans ce milieu que j'ai grandi. Le latin était obligatoire et occupait une grande partie de la journée scolaire, plus que le français, par exemple. Mme Luckas a donc eu une grande influence sur moi et mes amis, et nous travaillions dur pour obtenir 100 % à ses tests.
Beaucoup plus tard dans ma vie, lorsque j'ai déménagé à Singapour pour travailler comme rabbin, j'ai pris quelques cours de mandarin. Après quatre leçons, j'ai compris que si je ne travaillais pas dur, et probablement même si je travaillais dur, je n'arriverais à rien. Mme Luckas se retournerait dans sa tombe, car rien ne devrait être trop difficile pour ses garçons ; j'ai pourtant décidé d'abandonner et j'ai pris des cours d'espagnol à la place. Enfant, on vise haut et on y arrive. En tant qu'adulte, il faut parfois connaître ses limites.
Je pense à cela lorsque nous lisons Chofetim, notre parasha, et en particulier le verset (Deutéronome 17.8) où Moïse déclare aux juges : « Si une affaire est trop difficile à trancher pour vous, qu'il s'agisse d'une controverse sur un homicide, de droit civil ou d’une agression, vous irez à l'endroit que Dieu a choisi et vous vous présenterez devant les prêtres ou le magistrat, et vous exposerez votre problème. Ils vous diront quoi faire. »
Certaines affaires judiciaires sont très complexes. Et parfois même le plus savant des juges doit accepter non seulement qu'il n'a pas la réponse MAIS aussi qu’il lui faut demander conseil à ses collègues d'un autre tribunal. Il est donc très important de connaître ses limites et d'apprendre à accepter l'aide des autres.
Le Midrash Tanhuma (Mishpatim 6.21) utilise ce verset du Deutéronome pour illustrer le fait que la justice et la paix ne sont pas toujours synonymes. Le midrash nous dit : il est certain que lorsqu'il existe une justice absolue, la paix ne peut prévaloir. Et lorsqu'il y a la paix, il ne peut exister de justice absolue. Nous le savons par expérience : nous sommes parfois obligés de faire des compromis, même lorsque nous savons que nous avons raison, et ce, afin que tout finisse bien.
Le Talmud prend pour exemple deux chameaux qui gravissent une montagne : s'ils poussent tous les deux pour passer en premier, car ils savent tous les deux que c'est leur droit, ils risquent tous les deux de tomber de la montagne. Ou, pour prendre un exemple plus moderne, lorsque j'ai commencé à conduire au Luxembourg, quelque chose m’a complètement dérouté : la priorité de droite.
Que se passe-t-il lorsque quatre voitures arrivent en même temps à un carrefour ? Qui a la priorité ? Cela n'a peut-être pas vraiment d'importance. Mais en fin de compte, quelqu'un doit toujours faire un compromis, faire un pas vers l’autre, pour éviter un accident ou des bouchons. Trouver une solution pour résoudre un différend, un conflit, bâtir la paix nécessite des compromis. Et cette réalité prévaut, qu'il s'agisse d'un carrefour routier ou de la paix entre Israël et le Hamas.
Le même midrash de Tanhuma pose la question suivante : grâce à quel type de justice la paix prévaut-elle ? Et il répond à la même question : grâce à la justice obtenue par l'arbitrage. Certaines questions ne peuvent être résolues par les parties prenantes , certains problèmes ne peuvent être résolus par les parties impliquées. Il est alors utile de recourir à un arbitrage entre ces différentes parties, comme nous l'explique la Torah. Et cela n'est pas moins vrai aujourd'hui. Nous espérons tous un accord qui permettra de ramener les otages chez eux et nous espérons tous aussi mettre fin à la guerre à Gaza. Les deux peuples ont trop souffert. Aujourd'hui, tous ont surtout besoin de paix, et nous aussi, même au détriment de la justice.
Shoftim est surtout connu pour la phrase « Tzedek Tzedek tirdof » - « justice, justice, tu poursuivras ». C'est un cri de guerre, un cri de ralliement pour ceux qui veulent maintenir la justice et l'équité et faire le bien dans le monde. Ici certains commentaires nous aident à comprendre que le mot « Tzedek » répété pour nous rappeler que « there are always two sides to every story », qu’il y a toujours deux côtés à chaque conflit, deux sons de cloches en quelque sorte, et ce même dans une synagogue ! -. Ce qui signifie qu’il n'y a donc peut-être pas qu'une seule partie qui a raison, même si nous aimerions le croire.
Parfois, j'aimerais avoir à nouveau 11 ans, avec pour seul objectif d'obtenir 100 % à mes tests de latin et de satisfaire Mme Luckas. Malheureusement, le monde est beaucoup plus complexe. Je dis « malheureusement », mais où serions-nous sans la riche tapisserie de la vie ? Peut-être avons-nous du mal à obtenir 50 %, peut-être que tout nous semble trop déroutant et aussi complexe que le chinois ou la priorité de droite… ou de gauche, mais grâce au compromis et à l'arbitrage, nous pouvons trouver une solution et atteindre cette paix dont nous avons tant besoin aujourd'hui.
Shabbat shalom
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